Oui, dès qu’une atteinte à une liberté fondamentale peut être démontrée, le juge du référé liberté est toujours compétent, donc même en matière électorale.
Mais … par une ordonnance en date du 20 juin 2024, le juge des référés liberté du Tribunal administratif de Lille, décide que la possibilité d’informer les électeurs dans le cadre de la campagne vient neutraliser de fait l’atteinte alléguée à la sincérité du scrutin
Les faits : L’Assemblée nationale a été dissoute par un décret en date du 9 juin 2024. En vue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, le « Nouveau Front Populaire », union de la gauche pour faire barrage au front national a été créé, alliant le Parti socialiste, le Parti écologiste, le Parti communiste et la France insoumise autours d’un programme commun
La société civile a été appelée à soutenir cette coalition et ce programme
Dans la première circonscription du nord, dans un contexte très médiatisé, une candidate féministe s’est présentée, en déclarant par voie de presse soutenir le programme défendu par l’alliance électorale « Nouveau Front Populaire », et s’est vu attribuer par le ministre de l’intérieur et des outre-mer, en vue du déroulement des élections législatives, la nuance électorale « Divers Gauche ».
La commission de propagande et les présidents de bureaux de vote ont validé et diffusé sa circulaire et son bulletin de vote portant les mentions « soutien » et « Nouveau Front Populaire ».
Par une requête devant le Tribunal administratif de Lille en date du 18 juin 2024, le candidat investi par le Nouveau Front Populaire a demandé au juge des référés « qu’il soit ordonné toutes mesures propres à faire cesser l’atteinte à la sincérité du vote », cette candidature « en soutien au Nouveau Front Populaire » étant selon lui une « manœuvres » créant une confusion dans l’esprit des électeurs sur le candidat investi officiellement par le « Nouveau Front Populaire » dans cette circonscription
La procédure : Le référé liberté est une procédure d’urgence devant le Tribunal administratif. Il est prévu à l’article L. 521-2 du code de justice administratif et prévoit pour le juge la possibilité d’ordonner, si l’urgence le justifie, « toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale dans l’exercice de ses pouvoirs ». Le juge se prononce dans les 48h et les parties et leurs avocats doivent se mobiliser en urgence.
Le cabinet PANTONE-AVOCATS, saisi la veille de l’audience, a défendu la candidate convoquée devant le Tribunal administratif
Plusieurs questions se sont posées :Le juge des référés liberté est-il compétent en matière électorale ?L’atteinte grave et manifestement illégale à la sincérité du vote est-elle démontrée ?
- Sur la compétence du juge des référés:
La critique des documents de propagande ou de vote n’est pas détachable du contentieux des opérations électorales. Une contestation à leur sujet devait donc être formulée après le scrutin et devant le juge dédié de l’élection.
La présente procédure engagée avant tout scrutin et devant le juge des référés liberté était donc inédite !
Pas tant que cela puisque le Conseil d’État, avait déjà jugé qu’avant tout scrutin, le juge des référés libertés pouvait faire usage de ses pouvoirs si dans le cas des circonstances particulières apparaîtrait une « illégalité grave et manifeste de nature à affecter la sincérité du vote » (Conseil d’État, 9 juin 2021, n°453237).
En soi une telle décision est logique, le juge des référés liberté étant toujours compétent quelque soit le domaine en cas d’atteinte à une liberté fondamentale.
Mais encore faut il que l’atteinte soit grave et manifestement illégale
- Sur l’atteinte grave et manifestement illégale à la sincérité du vote :
Le cabinet PANTONE AVOCATS a plaidé plusieurs arguments démontrant l’absence d’atteinte à la sincérité du vote et de risque de confusion dans l’esprit des électeurs sur les candidatures:
– La possibilité de débats publics concernant les questions d’investiture neutralise tout risque de confusion
L’arrêt du Conseil d’État précité validant le contrôle par le juge des référés liberté de la sincérité du vote antérieurement au scrutin avait déjà retenu cet argument pour écarter toute atteinte grave et manifeste à une liberté fondamentale .
De la même manière, dans le cadre du contentieux classique post-scrutin devant le juge des élections, l’existence de débats publics permet de juger que les résultats des élections ne sont pas altérés…
Ainsi, dans l’affaire de l’élection au Conseil général du 4e canton de Nice opposant l’ancien Maire de Nice et une candidate ayant porté sur ses bulletins de vote et affiches la mention Front National en 2012 alors qu’elle n’en avait pas reçu l’investiture, le Conseil d’État a jugé que cette manouvre n’était pas de nature à altérer les résultats des élections, notamment car « Monsieur B et le Front National ont eu la possibilité de faire connaître largement dans les médias locaux, avant le premier tour du scrutin, que M. D. n’était pas la candidate soutenue par le Front national » (Conseil d’État, 22 mai 2012, n° 353310).
– La sincérité d’un vote ne peut s’apprécier qu’après un scrutin au regard d’un ensemble de faisceau d’indices, notamment l’écart de voix obtenues !
La simple confusion possible concernant la documentation de propagande (bulletins de votes et tracts), n’a jamais été retenue comme suffisante en soi pour conclure à l’altération de résultats d’élections. Dans l’arrêt précité, les bulletins de votes portant le logo du Front National pouvaient prêter à confusion. Cependant, vu les débats publics, la notoriété des candidats et l’important écart de vote, le Conseil d’État a validé les élections et rejeté la protestation. Voir en sens inverse en raison du faible écart de voix entre la liste arrivée en tête du second tour et la liste perdante (Conseil d’État, 11 mai 2015, n° 386018).
– Les documents de propagande tant dans leur forme que dans le contenus ne font état d’aucune investiture de la candidate par le Nouveau Front populaire.
En dépit d’une certaine similitude formelle entre les documents, les mentions relatives aux Nouveau Front Populaire, précédées du terme « en soutien » ne sauraient à eux seuls tromper les électeurs, ce d’autant plus que seul le candidat investi fait figurer sur ses documents électoraux les logos des quatre partis politiques de cette alliance électorale.
Par ordonnance en date du 20 juin 2024 n°2406310 du juge administratif reprend chacun de ces points soulevés par le cabinet PANTONE-AVOCATS et rejette les demandes du candidat investi s’estimant floué Article de Libération
Le juge administratif, souligne qu’un retentissement médiatique local et national particulièrement important a été donné à ces candidatures et décide que « Les formations politiques et les candidats disposent, en tout état de cause, des moyens de manifester leurs idées, leurs soutiens, leurs désaccords et leurs analyses et d’informer les électeurs dans le cadre du débat électoral en cours, nonobstant la brièveté de la campagne ».
Donc pas d’atteinte à la sincérité des votes !
Le juge administratif de Lille a rendu une décision inédite, parfaitement motivée et claire ! Gageons que d’autres contentieux électoraux verront le jour et s’en inspireront
(Article rédigé avec la participation de Josépha GALARME Etudiante en Master II)
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